Définition : Les marchands de biens sont des personnes physiques ou morales, qui réalisent des opérations d’achat de biens immobiliers, de fonds de commerce, ou de parts de sociétés civiles immobilières (SCI), en vue de les revendre et générer une plus-value, éventuellement en les réhabilitant ou en les revalorisant grâce à des travaux. Ils se différencient des agents et négociateurs immobiliers dans la mesure où ils sont propriétaires des biens qu’ils revendent, tandis que les deux autres ne sont que des intermédiaires. Les marchands de biens ont le statut de commerçant et sont donc tenus par des obligations légales qui y sont liées (inscription au Répertoire du Commerce et de l’Industrie, tenue d’une comptabilité, établissement de comptes annuels…).
Cependant, le métier de marchand de biens n’est pas statutairement assimilé à un métier immobilier car il n’est pas soumis à la réglementation des professions immobilières, ce qui a profondément perturbé le marché monégasque au cours des dernières années.
De ce fait, dans la soirée du 27 juin 2024, les élus du Conseil national ont voté un projet de loi qui vient profondément réguler la profession de marchand de biens. Ce texte était attendu depuis longtemps et a été voté à l’unanimité des élus présents. Quelles sont les conséquences directes de cette nouvelle loi sur le marché immobilier monégasque ?
Comme expliqué précédemment, le rôle d’un marchand de biens est d’identifier des opportunités d’achat de biens sous-évalués (nécessitant des travaux dans la grande majorité des cas) dans le but d’augmenter leur valeur. Après l’achat, le marchand de biens entreprend donc, le plus souvent, des travaux de rénovation ou de restructuration pour optimiser le bien, le revendre rapidement, et réaliser une plus-value confortable.
D’origine, ce n’est pas une activité réglementée à Monaco mais elle fait l’objet d’un régime fiscal à part. En effet, le marchand de biens bénéficie du privilège de pouvoir acheter un bien immobilier en ne payant que 1,5% au lieu de 6,25% de frais sur la valeur de ce dernier (1.5% de frais de notaire + 4.75% de droits d’enregistrement), mais a l’obligation de revendre l’appartement dans un délai de 4 ans, et ce, sans la nécessité de réaliser des travaux. Une fois ce délai écoulé, si le bien n’a toujours pas été vendu, il devra s’acquitter des 4,75% de droits d’enregistrement économisés lors de l’achat, d’un intérêt de retard, ainsi qu’un droit supplémentaire de 6%.
Les marchands de biens ont joué un rôle crucial dans le développement du marché immobilier monégasque en améliorant la qualité des logements et en contribuant à la dynamique économique par le biais de leurs investissements et rénovations. Cependant, leur activité intense a grandement contribué à l’inflation des prix de l’immobilier, rendant le marché de moins en moins accessible pour de nombreux acheteurs.
Les professionnels de l’immobilier à Monaco, y compris les agences et les clients, ont ressenti l’impact de cette hausse des prix. Bien que l’augmentation des valeurs immobilières ait bénéficié aux investisseurs de longue date, elle a également créé une concurrence déloyale et exercé des pressions sur les commissions des agences immobilières. En cherchant à maximiser leurs profits, ils ont perturbé le marché monégasque, provoquant une hausse des prix qui a pénalisé les acheteurs locaux et déstabilisé l’ensemble du secteur immobilier. Ce phénomène a rendu indispensable l’intervention législative pour encadrer cette activité et protéger le marché immobilier de la Principauté. De ce fait, dès 2020, le gouvernement monégasque s’est saisi du dossier. Il a établi que la profession était suffisamment représentée et que plus aucune autorisation d’exercice ne serait accordée, sauf à des Monégasques. Depuis, et même si l’on ne peut établir avec certitude un lien de cause à effet, le nombre de marchands de biens a grandement diminué, passant de 290 en 2019 à 231 en 2024.
Avant, les marchands de biens à Monaco opéraient sous un régime de droit commun sans réglementation spécifique, ce qui leur permettait d’exploiter les failles du système pour maximiser leurs profits. En effet, la loi n°1.144 de 1991 et la loi n°1.252 de 2002 encadrent les activités économiques et les opérations immobilières, mais ces textes ne s’appliquent pas directement aux marchands de biens. Cette absence de cadre législatif a permis une expansion rapide et non régulée de cette activité, conduisant à des spéculations immobilières qui ont eu un impact significatif sur le marché.
De plus, les avantages fiscaux dont disposaient les marchands de biens ont provoqué une augmentation exponentielle de leur nombre sur un marché limité et déjà très concurrentiel, menant à une très forte surreprésentation de la profession en Principauté. Pour preuve, en 2011, il n’y avait que deux marchands de biens immatriculés au Registre du Commerce et de l’Industrie, contre 310 en 2020.
À la suite de cette croissance incontrôlable du nombre de marchands de biens exerçant en Principauté, la nécessité de réguler cette profession est devenue évidente pour protéger le marché aussi bien que les intérêts des résidents. Ainsi, la nouvelle loi n°1560, votée le 27 juin 2024 par les élus du Conseil National, vise à corriger ces déséquilibres en introduisant des règles strictes pour les marchands de biens, afin de garantir une concurrence équitable et de réduire cette spéculation excessive, nocive pour le marché. Cette modification se traduit notamment par la suppression du régime d’exonération des droits d’enregistrement dont bénéficient actuellement les marchands de biens, remplacé par une exonération partielle sous réserve pour le marchand de biens de justifier de la conformité du bien aux normes en vigueur, notamment électriques et énergétiques.
Le dispositif proposé par le Conseil National tend donc à remplir les objectifs suivants :
De plus, les marchands de biens sont désormais tenus de réaliser des travaux de rénovation représentant au moins 5% du prix d’acquisition du bien. Ces travaux doivent être réalisés par des entreprises domiciliées en Principauté, favorisant ainsi l’économie locale.
Ces nouvelles obligations imposent donc aux marchands de biens une plus grande rigueur et des coûts supplémentaires pour se conformer à la législation. Cependant, elles visent également à professionnaliser le secteur et à renforcer la confiance des consommateurs dans les transactions immobilières. Les professionnels devront à présent adapter leurs pratiques pour répondre à ces exigences, ce qui pourrait inclure des investissements plus importants dans les rénovations et une gestion plus stricte de leurs activités financières.
Avec l’adoption de la loi n°1560, Monaco tourne une page en instaurant un cadre réglementaire strict pour les marchands de biens. En mettant fin aux avantages fiscaux qui alimentaient la spéculation, cette réforme vise à rétablir un marché plus équilibré et accessible. Toutefois, son efficacité dépendra de son application concrète et des ajustements futurs. Si cette mesure protège les résidents et stabilise le secteur, elle pourrait aussi ralentir certaines dynamiques d’investissement. L’avenir dira si ce réajustement législatif marque un véritable tournant ou s’il ne fait que redessiner les contours d’un marché toujours aussi compétitif et spéculatif.
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